Afghanistan : le Kazakhstan, facteur d’équilibre dans une région déstabilisée

Géopolitique

A la faveur du retrait américain d’Afghanistan, les puissances régionales avancent leurs pions et consolident leur influence en Asie centrale, quitte à raviver d’anciens conflits. Forte de son expérience de médiateur dans les crises syrienne et ukrainienne, la discrète mais efficace diplomatie kazakhstanaise pourrait à nouveau s’imposer comme un élément stabilisateur.

Les talibans ont repris Kaboul depuis plus de deux semaines maintenant. Malgré l’intense effort de propagande de la part des fondamentalistes musulmans régnant désormais sur la quasi-totalité du territoire afghan, tous les signes parvenant encore du pays démontrent que celui-ci plonge, jour après jour, dans le chaos. Si les nouveaux maîtres de Kaboul assurent un semblant d’ordre et de sécurité, l’État est en déroute complète. Les fonctionnaires ne sont pas payés. Les infrastructures vitales sont souvent en panne, des provinces entières sont privées d’électricité. La sécheresse et la faim font rage, menaçant la vie de dizaines de millions d’Afghans, dont un tiers fait face à une situation d’insécurité alimentaire. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est officiellement inquiété d’une possible « catastrophe humanitaire ».

Pays stabilisateur au sein d’une Asie centrale en proie à la plus grande incertitude

Alors que l’Afghanistan s’enfonce dans la crise, ses voisins tentent d’exploiter la situation à leur avantage. Le retrait américain fait ainsi figure, pour les puissances régionales d’Asie centrale, d’opportunité historique de nature à raffermir leur position géostratégique, voire à renverser la table des alliances et des préséances diplomatiques. La nature ayant horreur du vide, le Pakistan, l’Iran, la Chine, la Russie, l’Inde ou encore la Turquie intriguent, plus ou moins discrètement, afin de tirer profit du désengagement de l’Oncle Sam dans la région – au risque de raviver de vieux conflits larvés, tel que celui qui oppose, dans la région montagneuse du Cachemire, les deux puissances nucléaires que sont Delhi et Islamabad. Facteur d’instabilité, cette tectonique des plaques fragilise l’équilibre d’une région plus que jamais au centre de l’attention et des enjeux internationaux.

Dans ce grand jeu de chamboule-tout géopolitique, un pays semble vouloir apaiser les tensions, quand les autres soufflent au contraire sur les cendres du brasier afghan. Le Kazakhstan, pays géant et grand comme cinq fois la France, pourrait en effet s’imposer comme un élément stabilisateur au sein d’une Asie centrale en proie à la plus grande incertitude. Premier et unique partenaire stratégique de la France dans la région, le pays contribue notamment au renforcement de la « ceinture de sécurité » protégeant l’Europe. En témoigne l’appel d’Emmanuel Macron à son homologue Kassym Jomart Tokayev, avec lequel il s’est entretenu le 31 août : « les deux présidents se sont entretenus de la situation en Afghanistan et de ses répercussions en Asie centrale. Ils ont marqué leur volonté de travailler conjointement à la sécurité et à la stabilité de la région », fait ainsi savoir le site de l’Élysée. En témoigne, également, le choix de l’ONU de transférer ses personnels humanitaires d’Afghanistan à Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan, d’où ils pourront continuer d’apporter « une assistance vitale aux millions de personnes qui en ont le plus besoin », selon Antonio Guterres.

Diplomatie multi-vectorielle sur les dossiers iranien, syrien et ukrainien

S’il venait à se confirmer dans le dossier afghan, ce rôle central du Kazakhstan dans le concert des nations ne serait pas sans rappeler celui que le pays a tenu lors de précédentes crises internationales. En 2013, Almaty eut l’occasion d’accueillir deux rounds de négociations, réunissant membres permanents de l’ONU et représentants de l’Iran, de l’Allemagne et des pays de l’UE, et ouvrant la voie à la signature d’un accord historique sur le nucléaire iranien. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait déclaré à l’époque que les pays hôtes des pourparlers (Kazakhstan, Autriche, Suisse) avaient joué un rôle déterminant dans l’obtention d’un consensus.

En 2017, c’est à Astana, la capitale kazakhstanaise, qu’avaient débuté les pourparlers de paix autour du conflit syrien. L’ancien président, Noursoultan Nazarbaïev, s’était emparé de la question dès les prémisses de la guerre civile en Syrie, en 2011, faisant valoir avec succès la centralité géographique et la neutralité de son pays. Le chef d’État avait œuvré en coulisses pour permettre à ses deux puissants voisins et partenaires, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, de s’assoir ensemble à la table des négociations. Un joli coup diplomatique, qui avait alors contribué à consolider la réputation d’Astana auprès des chancelleries du monde entier.

L’intervention du Kazakhstan dans la crise syrienne transformait l’essai marqué en 2014, quand le pays s’était, déjà, rapproché de la France pour tenter de calmer le jeu dans l’épineux dossier ukrainien. Le président de l’ancien satellite de l’URSS fut le parrain du processus de Minsk, appelant à mettre fin aux sanctions internationales contre Moscou et œuvrant pour que François Hollande, Angela Merkel, Petro Porochenko et Vladimir Poutine se rencontrent et trouvent un compromis. Donnant ainsi corps au concept de diplomatie multi-vectorielle cher au Kazakhstan.

Si la victoire des talibans en Afghanistan est encore trop fraiche pour établir quelque pronostic que ce soit, nul doute qu’Astana aura, de nouveau, à cœur de s’imposer comme un agent de stabilisation dans la région. « Le Kazakhstan estime que l’Afghanistan doit devenir un État stable, souverain et uni, vivant en paix avec lui-même et avec ses voisins » a ainsi déclaré le président Tokayev mercredi 8 septembre. « Nous sommes prêts à établir des contacts commerciaux constructifs avec les nouvelles autorités, avant tout pour résoudre les problèmes humanitaires aigus auxquels est confronté ce pays qui souffre depuis longtemps ».

 


 

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