Fortement dépendants de leur voiture, les habitants des zones rurales seraient les premiers bénéficiaires de la mobilité électrique, particulièrement adaptée à leurs besoins et aux spécificités de leurs territoires. Une révolution électrique qui suppose un changement de mentalité mais aussi, dans une certaine mesure, un renforcement des infrastructures de bornes de recharge.
Le rat de ville et le rat des champs : certains préjugés n’ont, depuis l’époque à laquelle Jean de la Fontaine écrivit ses célèbres fables, pas pris une ride. Aujourd’hui encore, l’image du « bobo » parisien, adepte supposé des mobilités douces et autres trottinettes électriques, continue de s’opposer à celle des habitants des campagnes françaises, farouchement accrochés au volant de leur voiture. Une fois n’est pas coutume, les chiffres semblent donner raison aux idées reçues : selon une étude du cabinet Kantar, la quasi-totalité (95%) des foyers habitant en zones rurales ou au sein de villes de moins de 2 000 habitants possèdent au moins un véhicule, contre seulement 68% dans l’agglomération parisienne et 34% au sein de la capitale.
En zone rurale, une forte dépendance à la voiture qui entraîne des coûts importants
Un constat qui « peut sembler à contre-courant de tout ce qu’on entend actuellement au sujet des nouvelles formes de mobilité, mais (qui) souligne (…) que les offres alternatives ne sont pas encore assez développées », analyse Flavien Neuvy, de l’Observatoire Cetelem de l’automobile. Ce retard a, sur les foyers ruraux, souvent moins aisés que ceux vivant en ville, des conséquences financières non-négligeables. Ainsi, selon une enquête réalisée par la Fondation Nicolas Hulot, un Français résidant en milieu rural dépense plus de 140 euros par mois pour pouvoir rouler, soit 50 euros de plus qu’un habitant d’une grande agglomération. Une inégalité criante, inhérente aux territoires ruraux, mais qui n’est pourtant pas une fatalité.
En effet, si rouler à la campagne coûte plus cher qu’en ville, ce n’est plus le cas si l’on dispose d’un véhicule électrique. En calculant le coût total de propriété (CTP) d’un véhicule, qui intègre aussi bien l’assurance que son carburant, en passant par les coûts d’entretien, les voitures électriques ou hybrides rechargeables s’avèrent en effet plus économiques que leurs ancêtres fonctionnant aux énergies fossiles. Et c’est en zone rurale, où les distances parcourues sont plus importantes qu’en ville, que l’achat d’un véhicule électrique est le plus rapidement rentabilisé : le coût d’un véhicule électrique y est, in fine, de 5% inférieur à celui d’un véhicule diesel.
« L’idée que la voiture électrique ne se diffuse qu’en ville est fausse », assure ainsi Joseph Beretta, le président de l’association Avere France. « Lorsqu’on analyse les ventes, on remarque qu’un grand nombre se fait en zones périurbaines et rurales » où, poursuit le spécialiste, « la voiture électrique s’adapte bien (…), avec des autonomies de 300 kilomètres pour la plupart des modèles ». L’Avere estimant qu’un véhicule électrique étant rentabilisé à partir de 10 000 kilomètres par an, « on amortit plus vite le coût d’achat d’une voiture électrique en milieu rural, parce qu’on y roule bien plus ».
Le déploiement de bornes se poursuit dans les territoires ruraux
Principal frein à l’acquisition d’un véhicule électrique, la peur de la panne pourrait bientôt appartenir, à la campagne comme en ville, au passé. Le déploiement de bornes de recharge se poursuit dans les territoires ruraux, avec d’une part, la poursuite de plan de déploiement dans les espaces publics et d’autres part, la coopération entre les collectivités et départements pour globaliser l’offre disponible de bornes de recharges. Ainsi en Bretagne, plusieurs départements avaient leur propre réseau de bornes et ont récemment décidé de se réunir. Orchestré par IZIVIA (une filiale d’EDF), 3 départements se sont regroupés pour ne former plus qu’un réseau appelé Ouest Charge composé de près de 500 bornes sur le territoire. En région parisienne, toujours avec IZIVIA, le Sigeif (Syndicat intercommunal pour le gaz et l’électricité en Île-de-France), propose aux communes de la région de les équiper et de former un vaste réseau de bornes recharge, avec un tarif unique. Dans les Ardennes, où la communauté d’agglomération Ardenne Métropole, regroupant une soixantaine de communes, a déployé 149 bornes de recharge et mis à disposition des habitants une trentaine de véhicules électriques. Et, dans l’Ariège, le petit village d’Appy, « l’une des villes les plus éloignées de toutes commodités », s’est associé avec le constructeur Renault, qui a offert plusieurs unités de son modèle électrique « Zoé » en autopartage afin de démontrer, selon la marque au losange, que « la mobilité électrique (…) est (…) à la portée de tous ».
Par ailleurs, il est de plus en plus aisé de localiser les bornes de recharge disponibles sur la voie publique, avec des applicatifs tels que « Chargemap » qui rassemble la communauté des conducteurs de voitures électriques et partage des informations sur les points de charge, et notamment leur localisations et types, permettant ainsi de se savoir ou se recharger partout en France, avec qui plus est, un badge d’accès multi-réseaux.
Le succès de ces diverses opérations, dont on sent bien qu’il dépend d’une adaptation fine aux besoins des territoires et de leurs habitants et usagers, montre qu’une acculturation des populations rurales à l’électromobilité et aux formes partagées de mobilité se dessine – si, bien-sûr, les infrastructures idoines existent. Quand le maillage en bornes de recharge s’avère suffisant, la mobilité électrique peut alors devenir un facteur de décloisonnement des territoires, notamment si celle-ci s’intègre dans une réflexion sur l’aménagement global des régions concernées. L’emplacement des bornes est par ailleurs le plus souvent pensé en fonction de sa cohérence avec les flux de mobilité du territoire, ou en fonction de leur intermodalité avec les autres modes de transports – notamment les transports en commun.
La mobilité électrique, facteur de décloisonnement des territoires
Contrairement à certaines idées reçues, les nouvelles mobilités ne sont donc, en rien, l’apanage des grandes villes et de leurs habitants aisés. L’autopartage, le covoiturage, le vélo – éventuellement à assistance électrique –, et, bien-sûr, la voiture électrique ou hybride rechargeable, sont tout à fait adaptés aux usages que peuvent en faire les habitants des campagnes. Reste à lever deux freins : le premier, d’ordre psychologique, contre lequel des efforts de communication ciblés doivent pouvoir lutter ; et le second, qui a évidemment trait à l’indispensable poursuite de la multiplication des infrastructures adéquates. Réunies, ces conditions pourraient faire de l’électromobilité un vecteur fort de décloisonnement des territoires et ce dès 2021.