Marine Tondelier nucléaire écologistes - La revue des transitions

Divisions atomiques chez les écologistes français

Energie Environnement

Derrière une apparente unité idéologique sur la question nucléaire, EELV est en réalité traversée par de puissantes dissensions internes. Une vieille garde, toujours fermement opposée à l’atome et héritière des grandes luttes antinucléaires et pacifistes des mouvements écologistes, s’oppose désormais en coulisse à une jeune génération, qui mise sur le pragmatisme énergétique et affirme se fonder avant tout sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Un clivage grandissant

« Il y a un vrai clivage générationnel », déplore pour l’AFP Noé Duprat-Lassus, membre du comité exécutif des Jeunes Écologistes jusqu’en février 2022. C’est d’abord au sein d’EELV que le militant a fait ses armes. Avant d’en être, selon ses dires, plus ou moins purgé pour des positions trop favorables sur la très épineuse question nucléaire. C’est donc vers les Jeunes écolos — le mouvement de jeunesse d’EELV — que Noé Duprat-Lassus se dirige. Il y trouve une démocratie interne visiblement plus mature et, surtout, une population militante plus volontiers portée vers un soutien pragmatique à l’atome. « Quand je suis arrivé chez les Jeunes écolos, il y avait plein de personnes favorables au nucléaire et, surtout, les gens étaient mesurés, on pouvait débattre sereinement », se souvient-il. Les différents rapports du GIEC, dont la visibilité s’est fortement accélérée depuis quelques années, ont contribué à faire changer de prisme de nombreux sympathisants écologistes : désormais, priorité aux émissions de CO2. Un terrain aussi préparé par l’hypermédiatique « pro-nuke » Jean-Marc Jancovici, ingénieur et auteur de la BD « Un monde sans fin », véritable succès de libraire aux 500 000 exemplaires vendus. Au nom de l’atome, certains anciens du parti sont même rentrés en guerre ouverte contre le mouvement : « Si le changement climatique est la priorité des Verts et si ces déchets sont le prix à payer pour fermer les centrales à charbon, c’est leur responsabilité d’ouvrir le débat sans tabou », estime Yann Arthus-Bertrand, aujourd’hui à la tête de la Fondation GoodPlanet.

Dans un contexte où les conséquences des trajectoires à + 1,5 °C — et au-delà — sont répétées à l’envi dans les médias, il est peu étonnant que les mouvements écologistes les plus récents aient une vision beaucoup plus nuancée du nucléaire. « Si vous ne vous intéressez qu’aux émissions de CO2, le nucléaire peut sembler être une solution logique », estime ainsi Claire Farrell, une figure très radicale du mouvement Extinction Rebellion, connu pour ses actions coups-de-poing. Si cette dernière refuse d’en faire « personnellement la promotion », d’autres ne s’en gênent pas. Ancienne cadre du mouvement, Zion Lights estime aujourd’hui qu’« être antinucléaire, c’est l’équivalent climatique d’être antivax : le refus de la raison ». Elle va même jusqu’à présenter « chaque fermeture de centrale nucléaire » comme « un crime contre la planète ». De plus en plus, cette ligne de fracture est ainsi saupoudrée d’un léger clivage générationnel « boomer vs millenials », avec un puissant attachement des premiers au modèle « tout-renouvelables ».

Au sein du parti aussi, la petite musique pronucléaire gagne malgré tout du terrain. Mais la route est longue dans un mouvement politique qui a fait de l’opposition la plus stricte à l’atome l’un de ses fer-de-lance idéologiques. Une posture confinant parfois à l’absurde, si l’on en croit certains ténors du parti. « Si vous regardez les statuts d’EE-LV, on ne peut pas être membre du parti si on n’est pas contre le nucléaire. Ce n’est pas le cas pour les énergies fossiles. À un moment donné, il faut juste reposer les choses », souligne Bruno Bernard, président de la métropole de Lyon et membre d’EELV depuis 2002. En effet, « l’engagement en faveur de la sortie du nucléaire » est l’un des principes inscrits dans les statuts d’Europe Écologie-Les Verts, dont la dernière version a été adoptée en juin 2016. Et pourtant, une enquête Elabe de novembre 2022 affirme que 46 % des sympathisants EELV seraient susceptibles d’accepter la construction de nouveaux réacteurs, en complément de sources d’énergie renouvelables. Une victoire culturelle du « lobby du nucléaire », déplorent les cadres du parti qui, face à cette tendance de fond, multiplient les conférences de presse commune avec Greenpeace, l’autre grande voix de l’opposition au nucléaire.

Pas de changement à attendre après la « grande consultation »

La temporalité est pour le moins brûlante pour les écolos. Pour attirer de nouveaux adhérents et redéfinir au mieux ses orientations, EELV a organisé une « grande consultation », lancée le 9 février et étalée sur 150 jours. « On dit beaucoup que les Français ont de plus en plus une conscience écologique et les résultats électoraux en 2022 n’ont pas suivi. Donc on se remet en question avec beaucoup d’humilité. On va se taire, on va écouter et on va tout changer ! ». L’objectif est ambitieux, l’exercice démocratique apparaît vertueux et aussi inclusif que possible autour du mot d’ordre : « Venez comme vous êtes ! ». Mais sur le nucléaire, le parti botte encore en touche. La secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier, a ainsi rapidement fin au suspense en affirmant que « dans les instances d’EE-LV, il n’y a pas de débat sur le nucléaire », et qu’il n’était pas question de changer de ligne. Et d’ajouter : « Cette grande consultation n’a pas de vocation programmatique ». Plus largement, la commission énergie du parti serait même totalement verrouillée par les opposants les plus féroces au nucléaire, souffle un cadre francilien du groupe au Télégramme.

Quelques-uns espèrent tout de même, à l’image de Nicolas Barla, élu EELV à la métropole de Lyon depuis 2020 et pour autant fervent partisan de l’atome. « C’est évident que le sujet du nucléaire va ressortir. La question, c’est : quelles conclusions la direction va en tirer ? », s’interroge le conseiller.

Rester ou partir : le difficile équilibre

Pour les pronucléaires, ou même ceux qui y voient un mal nécessaire, le débat serait devenu impossible. «La plupart du temps, nous recevons des tirs de barrage avec toute une liste d’arguments antinucléaires de base qui sont ceux de Greenpeace », regrette Frédéric Bec, adhérent Occitanie de 50 ans. « L’urgence climatique, c’est la lutte contre le carbone, ce n’est pas la lutte contre l’atome », insiste-t-il. Isolés au sein d’EELV, les pronucléaires semblent n’avoir que deux choix. La discrétion ou la démission. Nicolas Barla a choisi la première option. « Quand j’ai changé d’avis sur le sujet, je n’ai pas trouvé que cela valait le coup de quitter le parti », reconnaît l’ingénieur. Mais d’autres choisissent de quitter le navire. « Si vous êtes pronucléaire, vous n’avez rien à faire chez les Verts, vous n’êtes pas au bon endroit », tranche Florie Marie, une ancienne salariée d’EELV ayant, elle, choisi de rejoindre le Parti pirate.

Aussi douloureux soit-il pour les écologistes, ce revirement doctrinal ne serait pas une première en Europe. La Ligue verte finlandaise s’est ainsi positionnée sur une ligne d’équilibriste, mais relativement neutre sur la question du nucléaire. « Dans notre nouvelle déclaration de principes, on ne fait pas mention du tout du nucléaire », explique Veli Liikanen, secrétaire général du mouvement : « Nous disons juste que nous voulons le développement de toute technologie qui soit basse en carbone et pro-environnementale. C’est plus nuancé, car cela veut dire que nous sommes ouverts à un nucléaire qui serait sûr, et moins cher ».

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