Transitions démocratiques: interview du député Olivier Becht

Société

Qu’est-ce qu’une transition démocratique ? Comment passe-t-on d’un régime autoritaire à une démocratie ? Peut-on imposer la démocratie de l’extérieur ? Y-a-t-il une ou plusieurs spécificités européennes en la matière ? Dans le cadre de l’Association des parlementaires européens, une table ronde organisée le 28 septembre par l’Institut des transitions à Strasbourg à quelques pas de l’hémicycle, a permis d’aborder le sujet des transitions démocratiques et le rôle du Conseil de l’Europe. Décryptage avec le député Olivier Becht.

Aymeric Bourdin : Député français et président du groupe Agir ensemble à l’Assemblée nationale, vous siégez par ailleurs au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Quelles sont les missions de cette institution ?

Olivier Becht : le Conseil de l’Europe est la plus ancienne organisation internationale dans le domaine de la coopération européenne puisqu’il a été fondé peu après la Seconde guerre mondiale (1949). Dès le départ, le Conseil avait un objet très large, incluant la coopération économique, scientifique, environnementale et culturelle. Après la création de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) en 1950 puis la naissance des Communautés européennes, le Conseil de l’Europe s’est recentré sur son cœur de métier : les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit. C’est un peu devenu la maison de la démocratie en Europe. Il revient en particulier à la Cour européenne des droits de l’homme de lutter contre tout ce qui peut saper l’Etat de droit (torture, corruption, blanchiment d’argent…).

AB : Certes, mais comme dirait le philosophe Marcel Gauchet, « les droits de l’homme ne sont pas une politique ». Trente ans après l’explosion du bloc soviétique, alors que l’Afghanistan vient de retomber aux mains des talibans, le Conseil de l’Europe doit-il continuer à promouvoir les droits de l’homme ? Ne devrait-il pas plutôt opter pour la realpolitik en favorisant la coopération entre Etats ?

OB : L’un n’empêche pas l’autre. D’un côté, le Conseil de l’Europe doit poursuivre le combat pour les droits de l’homme – qui n’est jamais gagné, comme on le voit aujourd’hui avec les autoritarismes inspirés de la Chine ou de l’islam radical. Mais, d’un autre côté, je crois que la paix réelle ne s’obtient que par l’approfondissement de la prospérité. Il faut donc que le Conseil de l’Europe puisse utiliser la méthode des pères fondateurs qui a permis de sceller la paix entre la France et l’Allemagne après trois guerres entre 1870 et 1945 : les coopérations concrètes. C’est pourquoi je propose d’assigner une nouvelle mission au Conseil de l’Europe : créer une banque des matières premières.

AB : A quelles fins ?

OB : Il s’agit de développer les énergies nouvelles et les énergies renouvelables. Les secondes n’étant qu’intermittentes, il nous faut chercher dans la nature des énergies qu’on ne connaît pas encore. Songez qu’il y a cent vingt ans, nous ne savions même pas ce qu’était l’énergie atomique ! Cela laisse de l’espoir pour trouver des énergies nouvelles nous permettant de nous passer totalement du gaz et du pétrole. Cette banque des énergies aurait vocation à s’étendre à l’ensemble des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe afin de plus nous faire dépendre de la Chine.

AB : Certains analystes expliquent d’ailleurs le rapprochement entre Pékin et les talibans par la richesse énergétique du sous-sol afghan…

OB : Ils ont raison. Mais je ne vois rien de nouveau sous le soleil : les ressources ont toujours été au cœur de la géopolitique. Aujourd’hui, la grande Europe doit donc prendre conscience de sa faiblesse et développer des outils dans ce domaine.

AB : Alors que les Etats-Unis et les grandes puissances se tournent de plus en plus vers l’Asie-Pacifique, quelle est la place de ce que vous appelez « la grande Europe » dans la géopolitique mondiale ? 

OB : L’Europe n’est pas qu’une addition d’intérêts. Depuis pratiquement l’Empire romain, ce vieux continent porte un message universel. Fidèles à cet héritage, nous souhaitons aujourd’hui promouvoir dans le monde entier – et tout particulièrement dans la zone Asie-Pacifique – des valeurs telles que le respect du droit international. C’est un point d’autant plus important que la Chine a tendance à bousculer le droit international. Or, si Pékin et la zone Asie-Pacifique restent nos partenaires économiques, ne soyons pas naïfs : aux Etats d’Europe de faire entendre leur voix !

AB : Justement, au lendemain de l’annulation de la commande des douze sous-marins qu’avait effectuée l’Australie, la France peine à se faire entendre dans le concert des nations. Face à l’axe anglo-saxon Washington-Londres-Canberra, Paris doit-il abandonner l’Alliance atlantique ?

OB : Non. L’affaire des sous-marins est certes extrêmement regrettable et inquiétante, traduisant le retour de la brutalité dans les relations internationales. Il faut croire que certains font peu de cas des alliances du passé… Si nos alliés piétinent leurs engagements, comment pourrait-on un jour décemment le reprocher à d’autres pays ? Cela étant, je ne pense pas que la France ait intérêt à nouer d’autres alliances pour contrer celle des Etats-Unis avec l’Australie. Ces pays restent nos alliés. Reste à déterminer comment on se comporte entre alliés. C’est le cœur du problème.

 

 

 

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