2021 : la fin (ou presque) du plastique à usage unique en Écosse 

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Le gouvernement écossais veut interdire les pailles, couverts, assiettes en plastique ainsi que les gobelets en polystyrène. Des mesures qui laissent cependant sceptiques écologistes comme restaurateurs.  

C’est un peu ironique. Alors que le Royaume-Uni s’apprête à quitter l’Union Européenne le 31 décembre, vraisemblablement avec fracas, l’Écosse, de son côté, continue de faire des appels du pied au continent. Le 12 octobre dernier, le gouvernement indépendantiste écossais, ouvertement pro-européen, a ainsi lancé une consultation publique sur l’opportunité d’interdire les articles en plastique à usage unique les plus dommageables pour l’environnement. L’objectif ? Se conformer à la directive européenne de juin 2019 sur le plastique à usage unique, qui exige des États membres de prendre des mesures drastiques d’ici juillet 2021. « Il ne s’agit pas d’une obligation légale mais le gouvernement écossais a toujours été très clair quant à son souhait de maintenir des relations étroites avec ses partenaires européens en matière d’environnement, y compris après la sortie du Royaume-Uni de l’UE » explique David Barnes de Zero Waste Scotland, une organisation environnementale à but non lucratif, financée par le gouvernement.

Au-delà de la stratégie politique, le gouvernement d’Édimbourg veut « s’attaquer à la culture du tout jetable en Écosse », annonce-t-il dans sa consultation. « Ce qui est effrayant, c’est que nous sommes un petit pays et pourtant nous utilisons des millions d’objets en plastique », souligne David Barnes. Chaque année, les 5,5 millions d’Ecossais consomment en effet 300 millions de pailles, 276 millions de couverts, 50 millions d’assiettes, 66 millions de contenants alimentaires et 200 millions de tasses à emporter. Or il s’agit des articles les plus communément retrouvés sur les plages et dans les fonds marins. Aujourd’hui, sur 100 mètres de plage en Écosse, on trouve ainsi 492 déchets, dont la grande majorité sont des articles en plastique à usage unique.

Face à ce constat dramatique, la ministre de l’Environnement, Roseanna Cunningham, a ainsi déclaré : « Régler le problème de l’impact négatif qu’ont nos déchets plastiques sur nos communautés, nos océans, nos rivières et nos écosystèmes terrestres n’a jamais été aussi important. Ne pas agir pour protéger nos ressources naturelles limitées et relever les importants défis économiques, sociaux et environnementaux liés aux déchets plastiques n’est tout simplement pas une option ». Mais si la question est si urgente, pourquoi alors s’embarrasser d’une consultation ? Après tout, une enquête d’octobre 2020 montrait déjà que 77 % des Écossais étaient favorables à de nouvelles interdictions. « Nous voulons nous assurer que la future législation maximise l’impact positif et éviter des effets néfastes non anticipés. Il nous faut donc entendre le plus de voix possibles sur le sujet », explique David Barnes. Les Écossais ont donc jusqu’au 4 janvier 2021 pour participer à la consultation. Mais difficile de dire, à l’heure actuelle, dans quelle mesure leurs voix seront réellement prises en compte.

En pratique, le gouvernement prévoit d’interdire la production et la vente de millions d’articles plastiques. Cette interdiction concernera les pailles, les couverts, les assiettes, les contenants alimentaires, les tasses à emporter mais aussi les touillettes à café, les tiges de ballons gonflables et tous les plastiques dits « oxo-dégradables », c’est-à-dire qui se désintègrent dans la nature en micro-fragments, comme les sacs de courses. « C’est un grand pas en avant », reconnaît Friends of the Earth Scotland (la branche écossaise de l’association Les Amis de la Terre, ndlr).

Certaines dispositions du texte inquiètent néanmoins les écologistes, notamment celle concernant les tasses à emporter. Pour l’instant, le gouvernement écossais a l’intention de n’interdire que les tasses en polystyrène expansé, fabriquées à base de pétrole. En revanche, il est prévu que les tasses en plastique compostable, le plus souvent faites à partir de plantes et donc moins polluantes à la fabrication, demeurent autorisées. Mais ces objets ne peuvent se décomposer que dans des centres industriels spécialisés et sous certaines conditions. Impossible, donc, de jeter sa tasse dans la nature en espérant qu’elle se dégrade comme un trognon de pomme, ni même dans son tas de compost au fond du jardin. Sarah Greenwood, de l’université de Sheffield, souligne par ailleurs que le plastique dit « polylactique », soit l’un des plastiques compostables les plus répandus, « n’est pas fait non plus pour se décomposer dans l’océan ».

Même lorsqu’ils parviennent jusqu’à un centre de tri industriel, les articles en plastique compostable sont souvent loin d’être transformés. En Écosse, la plupart des déchets organiques sont en effet traités dans des centres dit de « digestion anaérobie » afin d’être changés en énergie renouvelable (le biogaz) et en compost. Problème, « ces centres retirent tous les emballages plastiques à l’entrée du processus. Comme il est impossible de distinguer les emballages compostables de ceux qui ne le sont pas, ils finissent tous à la décharge ou bien sont utilisés comme énergie pour l’incinération des autres déchets », reconnaît David Barnes. Une situation qui n’a rien d’inédit. Dans un rapport de septembre 2019, la commission parlementaire britannique dédiée à l’Environnement, à l’Alimentation et aux Affaires Rurales (EFRA) avait déjà prévenu : « Bien que les emballages plastiques compostables industriellement représentent une alternative séduisante, les infrastructures de gestion des déchets ne sont pas encore suffisamment adaptées ».

Du côté du secteur de la restauration, lequel devrait être très affecté par ces mesures, l’on est aussi méfiant. « Nous soutenons le gouvernement écossais dans son engagement pour une économie plus circulaire. Pour les entreprises utilisant encore des articles en plastique à usage unique, il faudra néanmoins s’assurer qu’elles connaissent les alternatives possibles et que ces dernières soient proposées à des prix abordables », alerte ainsi la branche écossaise de la Federation of Small Businesses (FSB). Les petits commerces, déjà largement mis à mal par la pandémie, risquent en effet d’être les plus pénalisés. À Édimbourg, le patron d’une petite pâtisserie ne décolère pas : « Ils veulent nous faire acheter des gobelets en plastique compostable mais c’est trop cher. À l’heure actuelle, il n’y a que peu d’entreprises qui fabriquent ces articles et le résultat est qu’elles fixent leurs prix librement. Par ailleurs, ces fabricants proposent des réductions mais uniquement si on achète en gros. Mais encore faut-il avoir la trésorerie pour se le permettre et les locaux adéquats pour entreposer les stocks. Finalement, ce sont encore les grandes chaînes type Starbucks qui vont le mieux s’en tirer ».

Alors que faire ? Inciter les clients à venir avec leur propre tasse ? Encore une fois, la FSB rappelle que beaucoup de petites enseignes s’y sont déjà mises, à l’image des grandes chaînes comme Prêt à Manger, laquelle propose une réduction de 50 pence aux clients munis de leur propre tasse. À Édimbourg, le café Victor Hugo, une épicerie fine au cœur du quartier chic des Meadows, affirme que cette stratégie fonctionne : « Nous sommes installés près d’un hôpital et tout le personnel vient prendre son café chez nous. Ces habitués rapportent toujours leur tasse afin de bénéficier d’une réduction de 20 pence ».

Pour autant, force est de constater que ce type d’incitation ne connaît pas un grand succès. D’après la chercheuse Caroline Wood, les clients apportant leurs propres tasses ne représentent que 5 % des ventes des cafés à emporter au Royaume-Uni. Les propriétaires du café Angel à Édimbourg, dont l’une des enseignes jouxte des bureaux, le savent bien. « 60 % de notre chiffre d’affaires repose sur la vente à emporter pour les gens qui travaillent à côté. Ce sont généralement des personnes préférant venir prendre leur café chez nous plutôt que d’aller l’acheter à la machine à café. Si on leur demande de ramener des tasses, ils ne le feront jamais, c’est trop contraignant », explique la patronne Ksenia Eroglu. Friends of the Earth Scotland rappelle que c’est bien ce manque d’intérêt de la part de la population qui a contraint le gouvernement a passé la vitesse supérieure. Désormais, est-il en effet expliqué dans la consultation publique, les clients qui continueront à prendre leur café à emporter dans des tasses jetables se verront pénaliser d’une vingtaine de pence.

En dehors des gobelets plastiques, qui demeurent le nœud du problème, les autres articles semblent être plus facilement remplaçables. Au café Victor Hugo, on admet que les tasses ne sont pas compostables mais que les contenants alimentaires, en papier, sont donc, eux, parfaitement recyclables. Le café demande par ailleurs systématiquement à ses clients s’ils ont véritablement besoin de couverts pour leur nourriture à emporter. Lorsque questionnée sur la meilleure solution à adopter pour les restaurateurs, l’organisation Zero Waste Scotland a répondu de la manière suivante : « Nous encourageons les entreprises à réfléchir au fait que renoncer au plastique à usage unique ne signifie pas qu’elles doivent automatiquement le remplacer par d’autres matériaux jetables. Il y a justement une opportunité à saisir pour penser différemment les choses. Les restaurateurs peuvent notamment offrir des alternatives réutilisables, comme des tasses en vaisselle à la place des tasses en polystyrène et des couverts en métal pour remplacer les cuillères et fourchettes en plastique ». Mais cela nécessite que chacun accepte de prendre son déjeuner ou son café sur place. Bref, de s’attaquer véritablement à la culture du tout jetable.


Tribune soumise par courriel par Lou-Eve Popper.

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