Initialement prévue pour le 1er janvier 2020, la mise en application de la Réglementation environnementale 2020 (RE2020) pourrait connaître un retard à l’allumage, comme l’a annoncé le gouvernement cet été. Le texte est pourtant primordial dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique, alors que le bâtiment représente le premier poste d’émissions carbonées en France (25 %).
Selon la loi « Elan » du 23 novembre 2018, la Réglementation environnementale 2020 (RE2020) pour la construction des bâtiments neufs devrait être publiée tout début 2020. Et c’est une bonne nouvelle pour le climat, puisque selon le gouvernement, le texte est une opportunité pour concrétiser les ambitions françaises en matière de lutte contre le réchauffement climatique. A partir du 1er janvier prochain, en effet, les logements qui sortiront de terre devront consommer des énergies renouvelables (ENR) et bas carbone. Rien de plus logique, pourrait-on admettre, lorsque l’on s’est engagé comme Paris à atteindre la « neutralité carbone » – soit l’état d’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) et leur retrait de l’atmosphère par l’Homme – en 2050.
Situation absurde
Cette « logique verte » est en réalité toute nouvelle. La Règlementation thermique 2012 (RT2012), qui regroupe les normes applicables actuellement à la construction neuve, avait résolument favorisé en son temps l’énergie fossile (le gaz naturel surtout) au détriment des énergies propres. Ceci « grâce » à un raisonnement et à un calcul complètement remis en cause depuis. Pour rappel, dans le calcul de la consommation d’énergie par mètre carré annuel (m²/an), l’électricité s’était vu attribuer un coefficient supérieur à celui du gaz (2,58 contre 1), signifiant que le plafond fixé par la RT2012 (50kWhep/m²/an) correspond à une consommation de 50 kWh/m²/an d’énergies fossiles mais de seulement 19 kWh/m²/an d’électricité.
De nombreux experts s’étaient à l’époque – et encore aujourd’hui – alarmés de cette situation ubuesque. Comme Brice Lalonde, ancien ministre de l’Ecologie, qui avait pu souligner : « Quand on veut sortir des énergies fossiles, il est paradoxal de demander plus d’efforts à l’électricité décarbonée produite sur le territoire national qu’aux énergies fossiles importées ». Même son de cloche du côté de Jean-Pierre Hauet, président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal de l’association Equilibre des énergies (Eden) : « Avec la RT2012, 75 % des logements collectifs neufs sont chauffés au gaz […]. Cette réalité ne s’accorde pas avec l’objectif de neutralité carbone », estime celui pour qui le « concept de coefficient n’a plus de sens ». « Nous devons construire des règlementations en nous basant sur l’énergie finale, consommée et payée, par l’utilisateur, abonde Jean-Pierre Hauet. Aujourd’hui, c’est toute la pénétration de l’électricité que l’on empêche alors que la PPE veut développer son rôle ».
« Innovation dans l’électricité »
La PPE, ou Programmation pluriannuelle de l’énergie, sorte de feuille de route gouvernementale pour la production/consommation d’énergie en France, cherche effectivement, en accord avec les objectifs fixés par la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte (2015), à privilégier l’électricité plutôt que les fossiles. Les autorités pourraient faire un geste en ce sens si elles adoptaient, par exemple, le coefficient de 2,1, pour l’électricité, dans le calcul de la consommation d’énergie annuelle d’un bâtiment, en suivant les conclusions de la Commission européenne en la matière. Une « évolution », pour M. Hauet, qui aurait d’ailleurs le mérite d’encourager « à l’innovation dans l’électricité ».
C’est également ce que pense Chantal Degand, directrice adjointe du pôle solutions innovantes bas carbone chez EDF, pour qui « la RE2020 représente l’opportunité d’ouvrir un chemin pour la filière construction, avec pour ligne d’horizon la neutralité carbone en 2050 […]. Il faut rappeler qu’aujourd’hui, la RT2012 ne permet plus de solutions en logement collectif pour l’électricité. Or, soulager le coefficient d’énergie primaire est une manière de donner davantage de place à l’énergie décarbonée. » Et il y a urgence : « Pour rappel, au gaz, on se situe en matière d’émissions de GES à 10-12 kilos de CO2/m²/an dans le neuf, contre seulement 3 pour l’électricité ».
Problème, le gouvernement a laissé entendre cet été qu’il pourrait reporter l’entrée en vigueur de la RE2020. Et, par conséquent, l’arrivée en grâce de l’électricité dans le bâti neuf. Ouf de soulagement du côté de certains constructeurs, qui verraient dès lors repoussée la mise en place de règles davantage contraignantes – en matière de consommation d’énergie du bâtiment pendant son utilisation, mais également d’émissions carbonées lors de sa construction et sa destruction éventuelle. En revanche, pour les promoteurs de logements neufs durables et en adéquation avec la lutte pour le climat, c’est la douche froide.
« Une carte à jouer »
Hélène Genin, déléguée générale de l’association Bâtiment bas carbone (BBCA), fait partie de ceux-là. Si « nous sommes favorables à l’idée, dans un premier temps, de réserver la RE2020 à certains chantiers importants […] nous souhaitons conserver un calendrier d’entrée en vigueur qui donne un engagement, un objectif, afin de tirer la filière vers le haut », estime-t-elle. D’autres voix, comme celle de Stanislas Pottier, président de BBCA, sont un peu plus tranchantes : « Je pense tout simplement qu’il n’y a aucune raison [de reporter l’entrée en vigueur de la RE2020]. […] La France est clairement identifiée comme un pays en pointe sur le climat, ses secteurs économiques sont assez avancés. Sur le bâtiment, on voit que les différents acteurs […] ont un coup d’avance par rapport aux acteurs étrangers. Il y a donc une carte à jouer […] ».
D’après lui, le gouvernement a tout intérêt à respecter les délais initiaux pour l’application de la nouvelle réglementation bâtimentaire. Puisqu’il peut faire d’une « contrainte réglementaire un atout concurrentiel au plan européen et mondial ». Une expérimentation avec un label spécial, « E+C– » (bâtiment à énergie positive et réduction carbone), a même déjà été menée par « toute la profession dans une démarche collective », indique-t-il. Sans compter que « ce ne sont pas des sujets neufs, on en parle avec l’administration depuis maintenant près de 3 ans. » Dans un contexte de marché morose de la construction neuve et de revendications sur le pouvoir d’achat, pas sûr que le gouvernement ait le choix de repousser éternellement l’application de son texte.