Jérémie Aboiron : Finance, Blockchain et normalisation

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Penser que la Blockchain est avant tout un problème de techniciens, c’est occulter l’ensemble d’un système dans lequel s’intègre cette innovation. Concevoir la Blockchain comme faisant partie d’un environnement systémique complexe, c’est comprendre la philosophie et les enjeux de la Blockchain, et l’importance stratégique de la normaliser.

Nous sommes arrivés à un point où le monde est devenu tellement complexe qu’il est nécessaire d’édicter des règles pour définir les bonnes façons de faire. Alors que les lois suffisaient à réguler et gérer les relations entre les individus, cela parait de moins en moins évident pour la justice de déterminer ce qui est bien, ou pas, de faire dans chacune des branches de chacun des secteurs d’activités. C’est pourquoi les acteurs du privé, les entreprises, ont décidé de créer leurs propres règles et lois de bonnes pratiques et d’état de l’art. Voilà comment les normes sont nées. Il est désormais facile pour un juge de trancher lors d’un litige impliquant des entreprises, une seule question se pose : le travail a-t-il été réalisé dans les règles de l’art ? Pour cela la justice prend la norme et vérifie. Les normes sont désormais plus importantes que les lois.

Qu’en est-il lorsqu’une technologie émerge ? Le cas de la Blockchain est tout à fait approprié à cette situation. Qui vont être les acteurs qui vont rédiger la future norme ? Quels vont être les enjeux ?

Pour une nouvelle technologie ou une nouvelle pratique, quel que soit le secteur, il est nécessaire que cette technologie soit utilisée par une majorité, qu’elle représente une perspective d’avenir importante, et qu’elle assure une certaine pérennité. Nous ne pouvons pas encore dire que la Blockchain soit une innovation de rupture (disruptive). En effet, celle-ci n’a pas encore remplacé la technologie actuelle. Non seulement elle n’a pas remplacé la technologie actuelle des bases de données publiques ou privées, mais elle n’a pas non plus remplacé les applications et usages. Le bitcoin n’a pas remplacé la monnaie fiduciaire. Les bases de données n’ont pas été remplacée par la technologie Blockchain.

Beaucoup de raisons peuvent expliquer les freins à cette nouvelle technologie. La première est le coût qu’elle représente en terme de d’infrastructure pour garantir la sécurité, la fiabilité et la distribution de l’information. Les acteurs de la Blockchain sont les utilisateurs eux-mêmes et les Mineurs (tiers de confiance). Ces derniers sont les seuls à pouvoir écrire sur la chaîne de blocs. Seulement pour pouvoir écrire sur une chaîne de blocs, il faut que plus de 50% des mineurs résolvent une équation et soient d’accord sur la transaction. A l’inverse l’enregistrement de l’information sur la Blockchain ne se fait pas. Il faut noter également que plus le nombre de mineurs est important et plus la sécurité et la fiabilité de la chaîne est garantie. Mais plus le nombre d’informations, d’utilisateurs est important et plus le temps de traitement est important, ainsi que la quantité de données à stocker par les mineurs.

Aujourd’hui, c’est comme si vous alliez au distributeur de billets pour retirer 20 euros et qu’il vous faille attendre 12 minutes pour que les billets sortent. Ce simple exemple devrait suffire à comprendre pourquoi la Blockchain n’est pas encore démocratisée.

Cependant, il existe d’autres raisons comme par exemple le coût nécessaire à la création, au développement et au maintien d’un réseau de mineurs suffisant pour garantir la sécurité et la fiabilité du système.

La norme utilisée pour la création d’une Blockchain doit être suffisamment ouverte pour permettre au plus grand nombre de l’utiliser. Cependant cela représente là encore des enjeux financiers importants pour la création de cette norme. A l’instar d’internet et du W3C, les acteurs de la finance devraient s’impliquer dans un consortium édictant la norme et les futures normes en matière de Blockchain dans le secteur monétaire et financier. Un autre acteur me semble important dans ce domaine, l’État. Quand on parle finance, on pense aussi impôt. L’État pourrait également s’investir dans un protocole normatif dans le but d’utiliser la Blockchain dans le traitement des impôts et du budget de l’État, ou tout autre service de l’État. Ce qui permettrait de rendre publiques les informations sans pour autant qu’elles soient modifiables autrement que par les Mineurs (tiers de confiance).

Concernant cette norme, il semble très important, voire indispensable, que les acteurs de la banque et de la finance se réunissent et rédigent les règles de confidentialité, de sécurité, de transparence, d’écriture, de lecture, la distribution, l’accessibilité, la technologie, l’architecture, etc.

L’ISO TC 307, « Blockchain and Electronic Distributed Ledger Technologies », est le nouvel enjeu stratégique pour que la Blockchain puisse créer une véritable rupture. Elle est disruptive dans le sens où elle a su se déployer à grande échelle et à une vitesse impressionnante. Aujourd’hui, il est question de rattraper un retard technologique et social. Répondre à des comportements qui ont changé, des besoins qui ont évolué et créer de nouveaux services dans le but de reprendre un avantage concurrentiel grâce à cette nouvelle technologie. Les banques traditionnelles doivent désormais répondre à de nouveaux facteurs clés de succès pour ne pas sombrer dans une nouvelle crise.


Diplômé des Universités de la Sorbonne, d’Assas et de la Harvard Business School, Jérémie Aboiron enseigne la psychologie sociale et le management stratégique en France (Université de Caen Normandie) et en Europe (NeoFaculty). Il est chercheur associé à l’Institut des Transitions, directeur du groupe de travail « Banque – Finance ».

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