Marc Jedliczka : « un prix plus élevé de l’électricité ne doit pas être un tabou »

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Marc Jedliczka est l’un des membres fondateurs et actuel porte-parole de l’Association négaWatt. Il est également fondateur et directeur général de l’association HESPUL, spécialisée dans la filière des centrales photovoltaïques raccordées au réseau, vice-président du CLER (Réseau pour la transition énergétique) et responsable associatif au niveau européen. Il a également été conseiller régional de la Région Rhône-Alpes.

L’association négaWatt regroupe un ensemble d’experts sur les questions liées à l’énergie et au développement durable. En 2017, la quatrième édition du scénario négaWatt a été publiée, en marge de la campagne présidentielle, pour peser sur le débat. Aujourd’hui, négaWatt se prépare à la révision de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie), à laquelle elle prendra part dans les mois à venir. Une première version du texte sera présentée cet été avant d’être examinée et potentiellement corrigée par la suite.

 

La révision de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) 2018-2023 et 2024-2028 sera effectuée prochainement. Quelles devront en être les grandes orientations pour engager réellement la France dans la transition énergétique ?
Marc Jedliczka –
Tout d’abord, il faut que les objectifs 2028 soient cohérents. En 2015, j’ai pu suivre de près l’élaboration de la PPE 2018-2023. Un scénario a été élaboré pour la stratégie nationale bas carbone et n’a jamais été publié par la DGEC (Direction générale de l’énergie et du climat). Nous avions travaillé en petits comités à des éléments sous-jacents à ce scénario, qui courait jusqu’en 2035. Les services de l’État ont d’abord évalué les résultats observés des mesures existantes, celles adoptées lors du Grenelle de l’environnement, auxquelles se sont ajoutées celles qui étaient alors en discussion dans le cadre de la loi sur la transition énergétique, afin de calculer les économies potentielles en termes d’usages (bâtiment, transport…). Cet exercice baptisé AME (avec mesures existantes) ayant montré que l’on était très loin des objectifs, ils ont identifié les mesures qui étaient au stade de la réflexion dans les différents ministères et les ont quantifiées pour élaborer un deuxième scénario, intitulé AMS (avec mesures supplémentaires). Une fois ce scénario élaboré, les économies réalisées étaient encore en dessous des objectifs et le scénario AMS a été revu en intégrant les propositions des parties prenantes, formulées dans le cadre de l’élaboration de la PPE, pour donner naissance au scénario AMS 2. Ce dernier permettait d’atteindre le point de passage à 2035 de la trajectoire nécessaire pour atteindre le facteur 4 (diviser par 4 les émissions de CO2) en 2050, mais à des conditions qui le rendaient de fait intenable. En effet, ce scénario misait sur la rénovation énergétique au niveau BBC (Bâtiment basse-consommation) de la totalité du parc existant de logements dès 2035, ce qui aurait imposé 1,2 million de rénovations BBC par an, quand le scénario négaWatt  en prévoyait 500 000. Nous savions par avance que l’industrie du bâtiment serait incapable de tenir un tel rythme, qui plus est pour s’arrêter totalement en 2036 ! En revanche, sur la question des transports, il y avait peu de propositions, mis à part le déploiement des véhicules électriques et, à la marge, le développement du gaz naturel pour véhicules (GNV). Nous avons fait savoir aux services de l’État que ces mesures n’étaient pas réalistes et loin d’être égalitaires selon les secteurs d’activité. Le bâtiment devait ainsi tenir des objectifs impossibles pour 2035 alors que les transports n’apporteraient que des contributions minimes et que rien n’était prévu pour la suite, jusqu’en 2050. J’ai l’impression aujourd’hui que l’État a tiré des enseignements de cette expérience et j’espère qu’il ne fera pas les mêmes erreurs pour la PPE 2024-2028.

Dans la prochaine PPE, la question du vecteur gaz dans les transports devrait être abordée de manière plus importante. Une politique de transports 100 % électrique est techniquement possible. Plusieurs raisons à cela : les ressources primaires nécessaires pour la fabrication des batteries ne sont pas infinies, le temps de recharge des batteries est bien trop important, l’autonomie trop faible et la puissance de recharge est bien trop élevée, jusqu’à 400 kW, voire 600 kW, si l’on veut recharger en quelques minutes comme c’est le cas avec les carburants pétroliers. Le scénario négaWatt prévoit que 20 % des kilomètres parcourus par les personnes et les marchandises seront effectués au moyen de l’électricité, soit par l’intermédiaire de véhicules électriques, soit par les transports publics. Le reste des déplacements routiers sera réalisé avec des véhicules fonctionnant au gaz renouvelable. Ce point, nouveau par rapport à la PPE précédente, est le fruit d’une véritable réflexion. L’Ademe vient d’ailleurs de publier une étude « Mix de gaz 100 % renouvelable en 2050 », allant dans ce sens. Nous verrons ce qu’il en est à l’issue du débat public. En France, le mix énergétique se compose à 40 % de pétrole et à environ 25 % de gaz et 25 % d’électricité. Dans notre scénario 2050, nous souhaitons que cet équilibre entre la part de gaz et d’électricité dans le mix français soit maintenu. Cet équilibre entre ces deux vecteurs, qui seront tous les deux devenus renouvelables, est un élément central de la transition énergétique. Cette prise en compte du gaz est essentielle et commence à heureusement filtrer dans les débats sur le sujet.

Des questions demeurent sur au sujet du nucléaire : Nicolas Hulot l’a rappelé, c’est une technologie dangereuse et coûteuse. Il faudra donc que cette PPE clarifie le calendrier de fermeture des centrales nucléaires les plus anciennes. Se posera alors la question de la manière de démanteler les centrales, la gestion des déchets nucléaires pour les milliers d’années à venir… La transition énergétique ne pourra pas se faire sans EDF.

Pour la première fois, un large débat public s’annonce sur le sujet, comme le prévoyait la loi sur la transition énergétique. De quelle manière l’Association négaWatt va-t-elle y participer ?
M. J. –
Nous participerons au débat public  dans la mesure de nos moyens et malgré les délais très courts. Nous allons produire un cahier d’acteurs, qui regroupera les réflexions et les propositions de négaWatt, et nous essaierons de produire des notes thématiques sur tous les sujets que nous considérons importants. L’organisation de ce débat public découle d’une obligation de la loi de 2015 et présente un intérêt du point de vue de la démocratie. Dans le même temps, les conditions du débat n’ont pas l’air idéales pour le moment et on ne connaît pas tous les scénarios énergétiques qui seront exposés. Qu’il s’agisse du format ou du délai, je ne suis pas convaincu de la vertu pédagogique de l’exercice tel qu’il se profile, d’autant que les sujets abordés seront très techniques et très complexes. Le côté citoyen de la démarche est essentiel et nous pouvons le saluer, en revanche, les citoyens français n’ont jamais reçu d’éducation à l’énergie. Nous serions favorables, au lieu de former un panel de 400 personnes, qui s’apparente davantage à une assemblée générale, à la constitution d’un panel plus réduit, entre 20 et 40 personnes représentatives de l’ensemble de la société, qui seraient formées, accompagnées, pourraient faire des auditions pour s’acculturer à toutes ces questions vraiment complexes et donner un avis éclairé au terme d’un processus long. Lors du débat sur la transition énergétique, un tel panel avait été tiré au sort et avait suivi l’ensemble des débats pendant plusieurs mois. Les participants avaient participé à plusieurs week-ends de formation et ils étaient accompagnés pendant toute la durée du processus. Au bout de la démarche, ils avaient livré un avis extrêmement intéressant, qui dans les grandes lignes expliquait que les citoyens étaient prêts pour la transition énergétique, mais qu’ils souhaitaient que l’État et les entreprises montrent l’exemple. Même si les conditions ne nous satisfont pas complètement, nous participerons au débat public bien évidemment, dans la mesure de nos moyens.

Pensez-vous que la PPE devra remettre en cause les fondements de la politique énergétique de la France, à savoir une énergie bon marché et une forte indépendance énergétique ?
M. J. – Cette question est révélatrice d’un double mensonge, d’abord sur le prix de l’électricité qui n’est pas élevé en France, principalement parce que le nucléaire ne paie pas son véritable coût : ni la recherche et développement, ni le démantèlement, ni la gestion des déchets, ni les assurances. Si l’on inclut toutes ces données, le nucléaire est aujourd’hui bien plus cher que l’éolien et même que les parcs photovoltaïques au sol.

Un prix plus élevé de l’électricité ne doit pas être un tabou, cela inciterait les gens à consommer moins. Au Danemark ou en Allemagne, l’électricité est deux fois plus chère qu’en France et ils en consomment 30 ou 40 % de moins. Lorsque nous parlons de facture énergétique, ce n’est pas le prix du kWh qu’il faut regarder, mais le prix du kWh multiplié par le nombre de kWh que l’on consomme. Il faut donc se poser les bonnes questions et savoir si le service énergétique rendu peut être le même si je consomme 1 ou 2 kWh. L’énergie la moins polluante et la plus économique est celle que l’on ne consomme pas. Augmenter le prix de l’électricité, comme c’est le cas pour le pétrole avec la taxe carbone, n’est pas une mauvaise résolution à prendre. Il faut apprendre à consommer moins, mais mieux.

Sur la question de l’indépendance énergétique, il s’agit également d’une contre-vérité. Les centrales nucléaires fonctionnent à l’uranium et il n’y a plus en France de mines d’uranium. Nous sommes donc dépendants des importations. En outre, les statistiques officielles qui parlent de 50 % d’indépendance énergétique continuent de compter dans ce taux les 65 % de pertes des réacteurs nucléaires, c’est-à-dire toute la chaleur qui part dans les panaches, les rivières ou la mer.

La vraie indépendance énergétique est celle liée aux énergies renouvelables, hydraulique et bois, qui représentent environ 10 % du mix français, et l’éolien et le photovoltaïque qui se développent. La vraie indépendance énergétique, c’est de consommer moins pour ne pas dépendre des autres et de produire notre énergie sur place par des procédés renouvelables.

La transition énergétique concerne l’environnement, le climat, l’emploi, l’économie, mais aussi l’autonomie et la résilience, ce qui nous rend indépendants des aléas géopolitiques et des relations parfois chaotiques avec nos partenaires commerciaux.

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