Pour attirer les jeunes, l’industrie ouvre ses portes

Travail

Les métiers industriels peinent à se défaire d’une image poussiéreuse issue d’un imaginaire à la Germinal. Pour susciter de nouvelles vocations, de plus en plus de groupes, comme EDF, Michelin ou Airbus, lancent des campagnes de recrutement et n’hésitent plus à ouvrir en grand les portes de leurs usines et sites de production. L’objectif : casser les idées reçues et montrer l’image d’une industrie française résolument moderne et digitale.

Délocalisations en cascade, friches industrielles, régions sinistrées, exil des compétences, chômage de masse… : à en croire un refrain psalmodié sur tous les tons, la France et l’industrie se conjugueraient, irrévocablement, au passé. S’il est vrai qu’entre 1974 et 2018 l’emploi industriel a bien diminué de moitié dans l’Hexagone, les crises à répétition, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont représenté autant d’électrochocs salutaires. Au nom de l’autonomie et de la souveraineté de l’Europe, l’heure est plus que jamais à la réindustrialisation. Une tendance qui dépasse le simple slogan politique, comme en témoigne le dynamisme d’un secteur qui, en France, prévoit quelque 250 000 nouvelles embauches chaque année jusqu’en 2025, selon les estimations de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie).

L’industrie face à une pénurie de candidats

Le secteur se porte bien ; les postes existent ; reste à trouver les compétences – et c’est là que le bât blesse. L’industrie fait, en effet, face à une inédite pénurie de candidats. La faute à un certain nombre de stéréotypes et préjugés aussi tenaces qu’obsolètes, tenant tant à la difficulté supposée des conditions de travail qu’au fait qu’il ne s’agirait que de métiers physiques réservés aux hommes. In fine, « ce sont des orientations (professionnelles) qui ont, un moment, été délaissées, alors que les besoins sont énormes », regrette Alexandre Pham, co-fondateur de Mistertemp, acteur de l’intérim digital. Un désamour pour les métiers de l’industrie qui s’observe très concrètement sur les territoires, comme dans ces usines Michelin de Troyes et Cholet où « il y a eu des campagnes de recrutement », expliquait en décembre dernier Florent Menegaux, le président du fabricant de pneumatiques, « mais nous avons eu zéro candidature. C’est un phénomène que nous ne connaissions pas », déplorait encore le dirigeant.

Alarmante, cette pénurie de profils est en décalage avec les profondes mutations qui traversent l’industrie d’aujourd’hui, principalement du fait de la transformation numérique. Si les soudeurs et autres tourneurs-fraiseurs sont toujours recherchés, l’industrie de demain aura surtout besoin de machine learning engineers, de roboticiens, de data scientists ou de développeurs de réalité virtuelle, comme le confirme Karl Rigal, du cabinet de conseil Stedy, selon qui « les jeunes diplômés de l’informatique et de l’ingénierie logicielle (…) sont plus demandés que jamais ». Pour anticiper ces nouveaux défis, « les entreprises ont besoin de former dès maintenant les compétences de demain », appuie Vincent Métaireau, de la Fab’Academy de l’UIMM. Si la réalité des nouveaux métiers de l’industrie semble donc bien éloignée des clichés qui, comme la suie du XIXe siècle, collent encore au secteur, les industriels doivent réinventer la manière dont ils parlent au grand public et aux potentiels candidats – notamment les plus jeunes.

 

« De belles choses derrière nos bardages métalliques » : donner envie d’industrie

Pour montrer ce à quoi elles contribuent quotidiennement, de plus en plus d’entreprises ouvrent ainsi leurs portes en grand pour montrer la « vraie » industrie, battre en brèche les idées reçues et donner l’image d’un secteur résolument ancré dans les enjeux d’aujourd’hui. En d’autres termes, « il y en a ras le bol de la  »marque » Zola. Ça nous fait trop mal », lance Nicolas Dufourcq, le directeur général de la BPI (Banque publique d’investissement). « Trop longtemps », admet cependant Marine Grimault, DRH du groupe OTS, « les entreprises sont restées repliées sur elles-mêmes. Aujourd’hui, alors que le marché de l’emploi se tend, il est important qu’elles fassent savoir ce qu’elles font, les perspectives de carrière qu’elles offrent. Il se passe de belles choses derrière nos bardages métalliques ». Encore faut-il le faire savoir. C’est pourquoi certaines entreprises, comme Airbus à Blagnac, proposent de « découvrir des lieux normalement inaccessibles au grand public, de se glisser dans les coulisses de l’industrie ».

Les jeunes – et leurs enseignants – sont évidemment les premières cibles de ce type d’opérations. En février dernier, Stellantis (ex PSA-Peugeot-Citroën) a ainsi ouvert quelque 850 postes aux candidats de la région de Mulhouse, tout en ouvrant les portes de son usine alsacienne au grand public. Si les constructeurs automobile et aérien semblent en pointe, l’industrie nucléaire n’est pas en reste : proposant 3 300 postes sur l’ensemble du territoire, EDF encourage également les curieux à visiter la centaine de sites industriels ouverts par l’électricien au public : Usine marémotrice de La Rance, espaces EDF Odyssélec et centrales de Saint-Alban, de Paluel, etc. Une forme de tourisme industriel qui est loin de décourager les foules, si l’on en juge par les chiffres communiqués début septembre par EDF : depuis le début de l’année, pas moins de 340 000 visiteurs sur près de cent sites ont ainsi franchi les portes des sites du groupe – de quoi faire naître de nouvelles vocations.. « En suscitant des vocations, le groupe EDF prépare les nouvelles générations à construire un mix énergétique neutre en CO2» déclare Christophe Carval, Directeur Exécutif Groupe en charge de la Direction des Ressources Humaines.

 

« Faire valser les idées reçues » : le boom du tourisme de savoir-faire

Véritable pionnier du tourisme industriel – également appelé tourisme de savoir-faire – en France, EDF s’inscrit dans un mouvement qui gagne de plus en plus d’entreprises tricolores, qui voient dans cette nouvelle manière de se faire connaître un redoutable outil de communication. Reconnue d’intérêt général en 2012, l’association Entreprise et Découverte fédère les sociétés désireuses de faire découvrir aux jeunes la richesse de leur patrimoine productif et d’éveiller chez eux le goût du « geste » et l’envie d’entreprendre. D’autres initiatives fleurissent ça et là : ainsi à Haguenau (Alsace) où, en mars dernier, des industriels de la région ont exposé leurs innovations, process et métiers aux jeunes de 3e – avec une ambition : « faire valser les idées reçues » ; ou encore de la Fondation CGénial, dont la mission est de promouvoir, en partenariat avec l’Education nationale, les métiers technologiques et scientifiques auprès des jeunes.

 

 

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