Si le bout du tunnel semble lentement apparaître, si le temps suspendu un moment se remet doucement en mouvement, les critiques sur la gestion de la crise risquent de masquer l’origine des réussites réalisées tout au long de cette crise.
L’engagement formidable des blouses blanches est célébré, à juste titre, chaque soir. Les projecteurs sont braqués sur ces « invisibles », sans qui la société ne pourrait fonctionner au quotidien, surtout en période de confinement : les éboueurs, les postiers, les conducteurs de transport collectif, les caissiers et caissières, les livreurs, les policiers, les militaires, …
Demain, l’effort collectif veillera à donner la possibilité à chacun de reprendre le travail : on saluera les entrepreneurs, petits ou grands, les chefs d’entreprise, les responsables et chefs de services qui remettront la machine en marche avec des trésors d’inventivité pour prendre en compte les contraintes liées à un déconditionnement progressif. Il faudra compter sur des moyens non optimums, faire face aux difficultés de chacun : que ce soient les situations personnelles et familiales fragilisées par le confinement, des traumatismes et des difficultés psychologiques avec parfois des deuils encore à faire.
Qui se souviendra alors de tout ce qui s’est passé pendant ces dernières semaines ? Qui se souviendra ce qui a permis la résilience de notre société ?
Nous pensons à la formidable mobilisation de la société civile, associative, bénévole qui a pris soin des fragilités de notre société, empêchant l’apparition de traumatismes plus lourds encore.
Ici, ce sont des femmes qui ont cherché, trouvé des tissus, draps, et autres fripes pour confectionner des blouses et des masques parce que les hôpitaux publics étaient dans l’impossibilité d’en obtenir par ailleurs ! Des communautés religieuses ont aussi joué le jeu en en confectionnant pour des préfectures.
Ailleurs, des citoyens ont réussi à monter une laverie « industrielle » capable de laver plusieurs centaines de blouses infectées par demi-journées, tout en respectant un processus sanitaire strict pour veiller à la santé des bénévoles mobilisés.
Plus loin, des professeurs, avec le soutien des parents d’élèves, ont fait preuve d’une immense générosité et d’une grande créativité. Dans cette période où pouvait s’exprimer une plus grande liberté d’initiative, ils ont imaginé, autant qu’il était possible, des solutions permettant aux élèves de poursuivre leur scolarité. C’est d’autant plus admirable pour les enfants des banlieues, quand on prend la mesure de l’angoisse des parents qui – au-delà des difficultés du confinement – craignent que cela conduise au décrochage scolaire définitif de leur enfant. Une forme de déterminisme réapparait alors qu’on la pensait définitivement révolue dans une république d’un monde nouveau.
Plus généralement, il y a aussi toutes ces initiatives d’entraide de proximité qui ont rappelé que la création de valeur marchande n’est pas tout, et n’est peut-être même pas l’essentiel. Nous avons pu oublier que nous sommes d’abord des êtres de relation, qui se réalisent par des actes quotidiens réels et non virtuels.
Comment ne pas penser aussi à un des moments les plus pénibles et terribles de cette période : le confinement renforcé dans les nouvelles forteresses que sont les EPHAD ? Les drames des au-revoirs escamotés, des deuils rendus impossibles. Sans compter la solitude de ces autres seniors qui ne sont pas (encore ?) dans ces établissements. Mais, en réponse à cela, de nombreuses familles mobilisent leurs enfants, ou ces enfants se mobilisant d’eux-mêmes, pour envoyer des dessins et des mots d’amitié à ces seniors esseulés. Et d’autres personnes pour leur apporter des repas, faire leurs courses ou un simple signe d’amitié.
Oui, tous ces héros du quotidien se sont levés, pour apporter ce supplément d’humanité dans notre société, qui permet sa résilience aujourd’hui. Ces héros ont redécouvert, et nous font aussi prendre conscience de ce besoin d’être ensemble, gratuitement. Ce qui pouvait sembler, encore récemment, comme un peu vieux jeu et dépassé.
Peut être la meilleure façon de les remercier sera, demain, au sortir de ce temps d’épreuve, de veiller à ce que notre société ré encourage les engagements de ces héros, qu’elle rende féconde cette émotion partagée chaque jour à 20h00 pendant toutes ces semaines.
Jacques Attali, qui estime jusqu’à 10% la contribution de l’associatif et de la gratuité de proximité au PIB des pays, vient récemment de demander pour l’après COVID de : « donner au monde associatif une place première majeure ». En attendant, le monde associatif a besoin lui aussi de survivre à la crise. Qui s’en soucie ? Comme pour les entreprises, il y a urgence. Il faut dès aujourd’hui s’assurer que le monde associatif vive ! Il est un maillon essentiel de notre société. Ne l’oublions pas et pourquoi ne pas envisager de doter le prochain gouvernement d’un ministre en charge de secteur.
Tribune d’Eric Mestrallet
Entrepreneur et consultant, Eric Mestrallet est le fondateur d’Espérance banlieues, une association dédiée à l’éducation dans le quartiers difficiles. Il est diplômé de l’Ecole nationale des Arts et Métiers et de l’Université Paris Dauphine.