après pétrole

Aubry Springuel : quelle transition pour l’après-pétrole ?

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Aubry Springuel est docteur en Sciences de Gestion, spécialisé en stratégie d’entreprise (2011). Il a rejoint l’École de Guerre Économique en 2006. Il a ensuite travaillé à la stratégie de GDF SUEZ, puis à l’amélioration des outils d’optimisation économique de l’approvisionnement en gaz naturel et des centrales énergétiques de GDF SUEZ. Depuis 2016, il anime la gamme d’offres d’électricité et de gaz d’ENGIE au sein de la direction marketing des particuliers en France.

 

Qu’est-ce qui explique la persistance du pétrole dans le mix énergétique mondial ?

Pour expliquer la persistance du pétrole comme vecteur énergétique, je pourrais retracer l’histoire de son développement. Mais je préfère laisser ce soin à quelqu’un de plus expert que moi sur les questions d’histoire.
Ma connaissance de la situation actuelle, de 2018, me permet plus aisément d’évoquer les barrières économiques à la sortie du pétrole, et plus largement des hydrocarbures fossiles (pétrole, mais aussi charbon et gaz naturel).
En partant des usages principaux du pétrole, je pense que nous pouvons mettre le doigt sur les dépendances actuelles vis-à-vis de cette ressource. Mis à part son rôle de matière première de l’industrie des plastiques polymères, j’en identifie trois principaux usages – la réserve d’énergie, le vecteur d’énergie pour le transport, la monnaie d’échange à long terme :
Premièrement, les hydrocarbures fossiles constituent des réserves d’énergie estimées à l’aide des techniques mises en place et partagées par toute l’industrie de l’exploration et production. Les quantités produites peuvent ensuite elles-mêmes être raffinées et stockées pour constituer des réserves d’énergie reconnaissables et  utilisées pour le suivi de l’activité d’un pays ou d’une région.
Deuxièmement, les hydrocarbures fossiles bénéficient de facilités logistiques dans tous les ports du monde (si nous considérons qu’il suffit d’un quai pour transborder une cargaison de charbon). Ces hydrocarbures constituent la colonne vertébrale des transports aérien, maritime et routier, les rendant accessibles dans toutes les régions, sur tous les marchés.
Troisièmement, le pétrole et les réserves associées représentent une monnaie d’échange, pour les investissements à long terme, entre les pays producteurs, les entreprises pétrolières, et les investisseurs institutionnels. Ces investissements engagent les budgets de pays et l’équilibre financier des banques sur plusieurs décennies (et déjà au-delà de 2050).
J’observe actuellement ces trois usages comme autant de barrières structurelles qui s’opposent à la substitution du pétrole par une autre source d’énergie. Ces barrières s’autoalimentent et constituent comme une cage de fer impossible à surmonter à court terme (Abrahamson et Fombrun 1992).

Quel(s) facteur(s) (législatif, technologique, géopolitique etc.) pourrai(en)t faire diminuer la part du pétrole dans le mix énergétique mondial / servir de déclencheur à une transition énergétique significative ?         

Dans la situation actuelle, les trois barrières, que j’ai citées par ailleurs, peuvent partiellement être surmontées par des énergies de substitution. Des phénomènes extérieurs (législatif, technologique, etc.) peuvent faire basculer le XXIème siècle dans l’un ou l’autre scénario de substitution au pétrole. Ces phénomènes peuvent prendre trois formes de natures conflictuelles croissantes :
– La mise en place de normes sanitaires contraignantes contre les hydrocarbures fossiles dans certaines régions pourrait produire des zones sans pétrole. Dès lors, le pétrole y perdrait une partie de sa prépondérance dans ses usages de réserve, de logistique et de monnaie. L’effet serait sans doute marginal si ces normes ne s’appliquent pas en dehors des zones de fortes concentrations urbaines.
– De nouvelles frontières douanières, et des taxes aux importations, pourraient favoriser l’essor des hydrocarbures renouvelables (production humaine, non fossile), et ainsi absorber une part significative du besoin de carburant dans les pays développés. L’hythane (mix de biométhane et d’hydrogène) présente un potentiel accru ces dernières années par le développement des productions d’électricité intermittentes (fatales à coût nul).
– Des conflits commerciaux et politiques exacerbés dans des régions productrices de pétrole pourraient enfin déstabiliser l’usage du pétrole comme monnaie d’échange de long terme. Les systèmes d’investissement numériques pourraient considérer les batteries électriques ou les piles à combustibles comme des unités de réserve d’énergie à long terme plus fiables et stables que le pétrole. Celui-ci perdrait alors petit à petit sa prépondérance, et tout son écosystème industriel et financier péricliterait en même temps.

Quelles sont les technologies les plus prometteuses dans une optique de limitation de la consommation des ressources fossiles ?    

Actuellement, le secteur automobile connaît des avancées suffisantes sur les batteries électriques pour prévoir des renouvellements complets de gammes de voitures à moteur thermique par des voitures à propulsion électrique. Ce changement d’échelle dans la production de batteries pourrait créer des ruptures technologiques en série dans le secteur de l’énergie électrique, comme celles vécues avec la miniaturisation informatique dans la téléphonie. La batterie pourrait représenter en quelque sorte, au niveau de l’électricité, ce que représentait au XXème siècle le baril de brut, au niveau du pétrole.
Une deuxième rupture technologique, à laquelle croit beaucoup ENGIE, est la généralisation de l’usage de l’hydrolyse, pour produire de l’hydrogène afin de stocker l’électricité intermittente inutilisée. Dans quelques années, le mélange biométhane-hydrogène pourrait coexister dans nos réseaux gaziers, et devenir un gaz de substitution au gaz naturel d’origine fossile.
Enfin, une troisième rupture technologique est en train d’être testée à Cadarache avec la fusion nucléaire. Cette source d’énergie propre est également non polluante, même si elle fait intervenir des moyens techniques bien plus élaborés que la production d’énergie éolienne ou solaire. Cette alternative à toutes les autres formes d’énergie devra néanmoins également être transformée en hydrogène, ou alimenter une batterie, pour remplacer tous les usages actuels du pétrole.

Quels mutations géopolitiques la transition vers l’après-pétrole pourrait-elle impliquer ?

Se projeter en 2050 dans l’après pétrole implique de prendre en compte des dynamiques géopolitiques. Les alliances actuelles entre pays producteurs et certains pays consommateurs seront certainement amenées à se retourner dès que des solutions de substitution apparaîtront pour remplacer durablement le pétrole.
La Chine, et l’Europe, ont tout à gagner à se débarrasser d’une dépendance problématique pour leur balance commerciale. Les niveaux de volatilité des produits pétroliers ces dix dernières années sont certainement une raison suffisante pour expliquer les efforts de la Chine, et de l’Europe pour développer les énergies renouvelables et  les nouveaux modes de transport. D’autres raisons, encore plus pragmatiques, pourraient les amener prochainement à renverser un système d’alliances trop favorable au pétrodollar.
Cette lecture originale de l’après pétrole fait résonance au thème du choc des puissances, cher à l’intelligence économique, incarnée à Paris par l’Ecole de Guerre Economique. L’analyse géopolitique y trouve sa pleine fonction explicative des phénomènes de promotion, ou de rejet de certaines ressources énergétiques. En ce sens, le travail prospectif, sur l’après pétrole en 2050, nous amène à poser la question d’un possible renversement d’équilibre à moyen terme entre les pays producteurs, et les pays de l’Extrême-Orient asiatique.

 

>> A lire aussi : notre dossier prospective consacré à l’après pétrole, publié par l’Institut des Transitions. 

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