Inès Leonarduzzi : passer du pouvoir d’achat au « savoir d’achat »

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Quelle est votre définition de la cleantech ?

La terminologie cleantech est équivoque. Elle existe néanmoins depuis vingt ans et elle reste en constante évolution. « Cleantech » est l’abréviation de clean technology mais pouvons traduire en français par éco-technologie. Pour en donner une définition globale, disons que l’éco-technologie désigne l’ensemble des solutions technologiques innovantes appliquées à l’environnement et à la ville durable.

L’exemple le plus cité en France reste Blablacar, qui est considéré comme une éco-technologie française pour sa capacité à optimiser la ressource logistique à travers la mobilité collaborative. Le souci de répondre à une problématique écologique urbaine actuelle est dans son ADN. En cela elle est à distinguer des entreprises responsables. Un site e-commerce qui privilégie un circuit logistique dit green, n’est pas une cleantech, c’est une entreprise responsable ; ce qui devrait être la condition sinequanone pour entreprendre.

Par extension, cette notion définit aussi aujourd’hui toute technologie permettant à l’humain de vivre de manière plus durable — qui est à nuancer avec l’idée de vivre plus longtemps — et comment il peut continuer à s’épanouir sans endommager les ressources naturelles de la planète. C’est passionnant.

Pourquoi la cleantech joue-t-elle un rôle important dans la démarche citoyenne ?

Car elle éduque les générations actuelles et futures à réaliser l’impact de l’industrialisation sur la planète et induit ainsi la modification des comportements. Nous n’avons pas encore atteint la maturité en termes de comportement citoyen. Si les inégalités sont encore significatives dans le monde, le citoyen a globalement gagné en pouvoir d’achat. En revanche il a beaucoup perdu en « savoir » d’achat. Nous ne savons toujours pas totalement d’où provient ce qu’on mange ou ce qui compose les appareils électroniques que nous achetons.

Les comportements durables sont encore à l’échelle de tendance et concernent seulement quelques catégories socio-professionnelles. La démocratisation de l’éco-technologie et sa mise en pratique à toutes les échelles de l’économie peut nous permettre de modifier nos schémas mentaux et référentiels socio-économiques.

Les nouvelles générations, dont l’âge est compris entre 17 et 24 ans et quelque soit leur milieu social, sont particulièrement alertes et concernées — bien plus que les générations qui les précèdent. Elles sont le poumon de l’économie de demain. L’éco-technologie sera le centre névralgique de leur démarche intellectuelle et ils la déploieront davantage que nous le faisons actuellement.

Quelles sont les forces et les contraintes de la cleantech ?

Dans un tout premier temps, je dirais que sa faiblesse réside en sa force, et repose sans hésitation sur tout ce que nous ne savons pas encore. On parle de nouvelles technologies mais celles que nous connaissons et dont nous parlons quotidiennement ne sont en rien nouveaux. Internet a presque 40 ans et le machine learning date de 1992.

Je porte une attention toute particulière à la biomimétique et la neuroscience, en d’autres termes la science directement inspirée de la nature et le cerveau, deux sources d’énergies très porteuses, aussi exponentielles que fabuleusement méconnues. Ces deux domaines sont véritablement des nouvelles technologiques durables.

Aujourd’hui, des ingénieurs s’associent à des technologistes et environnementalistes pour comprendre comment les libellules font pour surpasser nos meilleurs hélicoptères et comment les colibris traversent le Golfe du Mexique avec moins de 3 grammes de carburant. Une myriade de startups travaille, au-delà du concept des villes intelligentes, sur celui de la « vie » intelligente pour le citoyen. L’industrialisation a été une réponse recevable pendant des décennies, certes, aujourd’hui il apparaît qu’elle n’est pas la meilleure. En 2016, l’énergie renouvelable (l’éolien, le photovoltaïque solaire, l’hydrocarbure, la biomasse…) représentait 19% de la consommation d’énergie finale mondiale. L’Europe souhaite porter ce chiffre à 29% en 2030. La capacité de développement d’une économie éco-technologique est exponentielle.

Une autre contrainte de la clean technology, et pas des moindres, se trouve dans son rapport géopolitiqueAujourd’hui, la Chine possède le quasi-monopole des métaux rares, indispensables à la fabrication des smartphones, des batteries de voitures électriques mais aussi les éoliennes ou les panneaux solaires et, à date, nous n’avons pas encore trouvé de moyens de les substituer. Chaque année, il est exploité 130 000 tonnes de minerais rares (tantale, nionium, tungstene, vanadium, germanium, lithium, coltan…) contre 2 millions de tonnes de fer. Évoquons le cas des armées qui, face à l’épuisement des ressources de pétrole, cherchent à se tourner vers d’autres énergies pour conserver leurs leviers de pouvoir sur le plan international. On parle de faire des guerres sans pétrole, de « post-petroleum era », de robots-analystes et de robots-soldats exclusivement nourris en énergie propre, truffés de métaux rares pour fonctionner qui protègeraient nos frontières et l’équilibre du monde. Imaginez la France, les États-Unis ou l’Arabie Saoudite se fournir en Chine pour rester militairement viable. Le schéma reste pour l’imaginaire collectif, quelque peu déstabilisant… La clean technology revêt ainsi un enjeu politique qui modifie les règles et l’identité des acteurs centraux sur l’échiquier des énergies.

Que dire de son impact environnemental ? Les matériaux rares et précieux, s’ils sont une ressource décarbonée — c’est-à-dire qu’elle n’émet pas de CO2 — détruisent par ailleurs les sols et consomment une quantité significative de ressources naturelles comme l’eau, lors de la fabrication. En Afrique, ils sont la cause de conflits armés, comme en République Démocratique du Congo. Le coltan, minerai essentiel pour fabriquer les condensateurs des appareils électroniques, ne peut y être extrait qu’en repoussant les populations des villages. Plutôt que de dépenser leurs réserves de munitions en tuant à tour de bras les villageois qui refusent de quitter leurs terres, les seigneurs de guerres africains commettent des viols sur les femmes et les filles, forçant ainsi les familles à fuir. C’est comme cela que le viol au Congo, est devenu une arme de guerre, depuis l’essor du numérique il y a 20 ans. En 2000, ça a sauvé le succès de la PlayStation 2. Comprenez donc que l’Occident s’en porte bien. Ce n’est pas juste, et loin d’être écologique si l’on se base sur la définition du développement durable établi par l’ONU en 1992 et les Sustainable Development Goals pour 2030 définis par ses États membres. J’en parle longuement dans le livre que je suis en train d’écrire, il sortira en fin d’année. Nous travaillons en parallèle avec des associations sur place et des ONG européennes pour dénoncer et endiguer ces phénomènes.

Enfin, il existe d’autres contraintes liées au développement des cleantech, mais celles-ci sont sont exogènes. Les lobbys et la lenteur des processus de lancement par exemple. Nous avons encore beaucoup de difficultés à mutualiser les compétences pour faire avancer les choses rapidement. Cela vaut en Europe comme aux États-Unis.

En dernier lieu, je dirais l’éducation sur le sujet. Si l’on veut élever notre société, il faut commencer par éduquer : informer et faire réfléchir. Je déplore que ces sujets soient encore trop complexes pour beaucoup. Il faut trouver les moyens de vulgariser le sujet, dès l’école élémentaire. L’éco-technologie n’est pas une tendance, elle est l’avenir, et pour qu’elle ne soit pas seulement une batterie d’outils ou une fausse bonne idée, elle doit être démocratisée et expliquée. Nous devons donner à notre société une vision, et la construire ensemble. Sinon, il ne s’agit là que de performance technologique ; une recette qui d’ailleurs marcherait bien pour obtenir les pires scénarios d’une société post-numérique, ceux-là même dont les enfants se délectent au cinéma.

Précisions aussi que selon le rapport de 2017 de l’IRENA (NDRL: International Renewable Energy Agency), il est prévu que l’essor de l’éco-technologie et des énergies renouvelables créé plus de 24 millions d’emplois dans les filières industrielles d’excellence, c’est à dire des emplois à haute qualification, d’ici à 2030.

Comment se positionne Digital For The Planet face à la communauté cleantech ?

Digital For The Planet est un global Earth Project comme nous aimons à l’appeler dans l’enceinte de nos bureaux. Entre autres choses, nous sommes une plateforme internationale qui se déploie dans tous les pays où nous découvrons des écosystèmes éco-technologiques à fort potentiel. Notre rôle ici est d’être le point de rencontre entre les chercheurs et les ingénieurs, les solutions innovantes et les besoins des entreprises et institutions. Cela nous confère un regard 360 et nous permet de répondre rapidement et de manière précise aux enjeux d’aujourd’hui, du conseil à l’opérationnel.

Il y a un fort enjeu à cela. Nous avons mené la première étude institutionnelle auprès des Français sur le sujet. Il en ressort que 80% des Français souhaitent et seraient plus loyaux à une entreprise engagée sur le sujet de l’écologie digitale.

Nous avons par ailleurs développé un laboratoire d’expérience visant à répondre à des problématiques d’innovation durables précises de villes souhaitant regarder vers le futur, en liant la connectivité, la durabilité et la circularité. Nous aimons penser que sur un malentendu et avec un peu de naïveté des solutions peuvent émerger.

Vous développez aussi votre propre technologie cleantech…

Nous poursuivons en effet le développement de Plana, la première solution de machine learning capable de répondre aux enjeux citoyens de l’écologie digitale et entièrement alimentée en énergie propre. En simple, c’est une amie qui optimise notre rapport aux usages quotidiens du numérique, instruit et aide au quotidien, sans que cela ne demande d’effort. Il s’agit d’une technologie capable d’enseigner les usages de demain aux citoyens de 7 à 77 ans, tout en gardant un aspect ludique et pratique. Des ingénieurs, chercheurs et développeurs en France et aux États-Unis travaillent avec nous sur ce projet. Nous explorons par ailleurs deux autres versions, une pour le monde de l’entreprise et l’autre pour les villes. Nous espérons délivrer début 2019.


Inès Leonarduzzi est la fondatrice et présidente de Digital For The Planet et conférencière en France et à l’étranger, essentiellement sur les sujets de la disparité de l’émancipation des femmes, du leadership à l’ère du digital et de la Global Sustainability. Elle a fondé en 2016 WIT Intitatives, une communauté de femmes décideures et entrepreneures à Paris et Barcelone qui lance des initiatives auprès des femmes en Afrique du Nord.

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